PETITE HISTOIRE N°6
Le 31 janvier 2019
— Comment il va sortir de ton ventre, le petit frère, maman ?
— Tu vois mon nombril ? Le docteur va le déboutonner et il sortira par là.
J’ai trois ans et huit mois, voilà une explication qui me convient parfaitement.
La première chose que je demande à ma mère en arrivant à la clinique du Berceau Fleuri est si on a correctement reboutonné son nombril. Rassurée par la réponse positive, je peux aller voir mon petit frère.
Ma grande tante, qui dirige cette clinique, l’a mis tout nu dans une couveuse pour que je puisse bien le voir. Il est magnifique, un beau bébé de quatre kilos. C’est mon petit frère. Il me plaît beaucoup. Ma grand-tante fait passer mes mains dans les gants en caoutchouc de la couveuse et je peux le toucher. Quel bonheur !
Plus tard, en lui caressant la joue, je découvrirai la douceur de soie de sa peau qui me ravira.
Il est un bébé tout calme et souriant. Sur les films en super huit, on me voit tournicoter des pieds sans arrêt, twister du bassin dans mon parc. Agitée, même si je souris. Mon petit frère est serein, avec son beau sourire tout en fossettes. Maman lui lève les jambes, retire sa couche, le nettoie, lâche ses pieds pour saisir une nouvelle couche, il garde les jambes en l’air, tout content devant la caméra.
Il n’y avait pas d’échographies à cette époque. Pourtant mes parents étaient persuadés que le bébé qu’ils attendaient était un garçon.
C’est mon frère et je l’adore.
Nous passons toutes nos vacances sur le voilier, nous sommes toujours ensemble. C’est avec moi qu’il accepte de nager sans bouée pour la première fois, je me souviendrai toujours de l’immense fierté que j’ai ressentie.
Nous grandissons côte à côte, faisons des kilomètres de vélo autour de la maison, passons des heures à jouer avec les Légo à construire des circuits de train entourés de villages.
Lui sur la balançoire, moi sur le trapèze, nous inventons des spectacles de cirque.
Le soir, après la douche, nous regardons « Ma sorcière bien-aimée »
Ah ! Ma sorcière bien-aimée ! Comme nous aimions cette série ! Aujourd’hui encore, lorsqu’une tâche me rebute, je tente toujours en premier lieu de bouger mon nez comme le faisait Samantha…
Toujours attentifs l’un à l’autre, mon frère et moi ne cessons cependant de nous disputer, au grand désespoir de notre mère. On se crie dessus, on se tape, c’est violent parfois.
Mais quand l’un des deux se fait gronder, l’autre est tout triste.
Je crois bien qu’on se construit ainsi au sein d’une fratrie, par des moments de complicité et d’opposition.
Aujourd’hui que je suis maman, je comprends le désespoir de ma mère quand mes enfants se disputent.
Mais je me souviens que moi aussi, j’ai un petit frère, et je cesse de m’angoisser.
Car ce petit frère est et restera mon frère d’amour.