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“Comme une pierre”, roman policier

La première enquête de Vanessa Livers et son équipe

 
 
Comme une pierre Paru le 28 novembre 2018 Couverture :  Sarah Wodling, graphiste Laurent Morville, artiste peintre

“Comme une pierre”
Couverture :
Sarah Wodling, graphiste
Laurent Morville, artiste peintre

Mercredi 1er mai 2013

1


« Je ne sais pas vraiment, c’est très étrange comme sensation. »

Assise à la table de la cuisine, devant la baie vitrée qui donnait sur le jardin, elle écrivait au crayon sur un grand cahier.

Pas envie d’allumer l’ordinateur.

Cette intuition déconcertante s’était imposée dès son réveil. Tournée et retournée dans sa tête depuis une heure, elle menaçait de devenir une certitude.

« Mais t’as aucune preuve. Oui, mais j’en suis sûre. Oh là ! Attention prudence. Ça va faire mal… Bon. Papier, crayon. Distanciation. Comment ça s’écrit déjà, distanciation ? Dictionnaire. Mais pourquoi tu veux le savoir, d’abord, comment ça s’écrit ? Ça peut toujours servir ! »

L’encyclopédie était lourde à descendre de l’étagère et le souvenir de l’avoir reçue sur le gros orteil lui arracha une grimace.

Elle réalisa soudain : « Il en a de l’importance ce mot distanciation. »

Voilà pourquoi le cahier et le crayon. Pour la permettre, cette distanciation, pour… le recul, l’observation, l’analyse censée protéger un peu de la souffrance.

« Bon sang, c’est pathétique. Anticiper sur sa souffrance avec du papier et un portemine. Ma pauvre vieille… ! »

Pourtant elle continuait, penchée sur son cahier, accrochée à son crayon, repoussant régulièrement la longue mèche de cheveux blonds qui lui tombait devant les yeux.

Elle releva la tête. Treize heures, déjà ? Cela faisait un grand moment qu’elle était à son écriture. Elle n’avait pas vu le temps passer. Le texte avançait lentement. En parallèle, les notes s’allongeaient sur le carnet, bulles de pensées inscrites pour ne pas être oubliées. Elle se prépara un café, peinant comme d’habitude, à attraper la boîte rangée trop haut pour son mètre cinquante-huit.

Le cahier et le crayon avaient bien rempli leur office. La certitude occupait toujours son esprit, mais ne l’obsédait plus. Combien de fois s’était-elle demandé comment arrêter de réfléchir, encore, encore et encore...

« Faites le vide dans vos pensées. »

Phrase extraordinaire entre toutes les phrases extraordinaires.

« C’est possible ça, faire le vide dans ses pensées ? Qui a dit ça, qui a écrit ça, mais surtout qui a vécu ça ? Il est où, cet extra-terrestre ? Mais moi j’en rêve de faire le vide dans mes pensées ! Elles tourbillonnent, virevoltent, ne s’arrêtent jamais, c’est carrément l’opposé, tiens, c’est un “non-vide” des pensées. Ça me réveille la nuit, la télé n’en vient pas à bout, parfois j’arrive en bas de la page de mon livre et je n’ai rien compris de ce que mes yeux ont lu. Je gare la voiture devant la maison et j’ai l’impression de ne pas avoir conduit. C’est exactement ça, le “non-vide” des pensées ! Appelez-moi l’extra-terrestre ! »

En voici un qui lui plaît bien. L’extra-terrestre. L’entité détentrice du pouvoir absolu contre le non-vide des pensées. Être merveilleux qui…

Le téléphone sonna.

— Bonjour madame. Je vous contacte pour vous proposer un diagnostic qui permettrait de réduire votre facture énergétique.

— Ah, je suis désolée monsieur, mais là, je ne suis pas du tout disponible.

— Ah, vous n’êtes pas du tout disponible… Alors je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Au revoir madame.

Et voilà un deuxième extra-terrestre ! Un enquiquineur téléphonique poli et intelligent. Une exception. Un petit bonheur du jour.

Elle reprit son écriture. C’était difficile, délicat, la gomme travaillait autant que le crayon. Le cahier se remplissait, le texte se créait, s’organisait, Lisa s’apaisait.

Elle avait toujours écrit. Quelques phrases, quelques pages, qui lui permettaient de poser ses soucis sur le papier afin de les décortiquer. Mais ce matin, elle n’avait pas envie d’analyser ni de comprendre, juste d’échapper à cette idée saugrenue qui la préoccupait depuis son réveil. Et quelques lignes n’y suffiraient pas, elle le savait. Il lui restait dix jours de vacances, bien assez pour commencer. Bien installée, face à la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin. En toute sécurité, sur un joli cahier où son esprit pouvait se passionner et oublier.

« C’est incroyable ce que ça me fait du bien ! Tiens, je vais devenir écrivain. »

Écrivain… Son métier c’était enseignant. « En saignant » se disait-elle souvent. « Alors voyons voir. Écrivain. Écrit vain. Pas mieux. Bon, je prends. »

Écrit vain. Jeu de mots. Drôle… Mais les centaines d’écrits qui s’alignaient dans sa bibliothèque étaient tout sauf vains. Ses plus merveilleux voyages, c’était avec eux qu’elle les avait faits.

Écris vingt. « Vingt pages, déjà c’est bien si j’écris tout ça. Quatorze heures trente, et je suis au milieu de la quatrième. Bon, d’accord, pattes de mouche sur petits carreaux, y’a pas de marge, c’est un grand cahier 24x32. Mais les trois pages et demie de soulagement, j’aime. »

Écrives hein ? « Il faut que tu écrives. Déjà, t’es anémiée alors en plus tu ne vas pas être souffrante, il faut que tu écrives hein ? »

Écrits vains. « Mais tout le monde s’en fout de ce que tu écris. Ta certitude, ton non-vide des pensées, ton extra-terrestre, ton cahier, ton… Et depuis quand ça m’intéresse que tout le monde s’en fout ? Mais je m’en fous ! Moi, ça me fait du bien ! »

Écris vin. « Bordelaise d’origine je suis… Bof… »

Eh, cri vain ! « À part au secours, c’est vrai que ça ne sert à rien de crier, si ce n’est à soulager celui qui crie. On espère être entendu. Tu parles… »

Eh, crie vingt ! « Crie vingt fois youpi, tu es arrivée en bas de la quatrième page du cahier ! »

« Mouais… Je crois qu’il est nécessaire de faire une pause… »

Le soleil entrait à flots par la baie vitrée et le jardin lui tendait les bras. Lisa se leva, s’étira. Comme c’était bien les vacances ! Elle rangea son précieux cahier, son carnet et son crayon, se changea dans la chambre. Vêtue d’un vieux jean et d’un sweat, elle se planta devant le grand miroir de l’armoire. Ses yeux kaki pailletés d’or l’observaient. Elle remonta ses longs cheveux blonds en un chignon qu’elle fixa d’une grosse pince crocodile, hésita puis décida qu’elle portait bien son presque demi-siècle.

Chaussée de ses bottes coccinelles préférées, elle se dirigea vers le petit cabanon au fond du terrain. Elle chargea, en grognant sous l’effort, le sac de quarante litres de terreau qui semblait aussi lourd qu’elle dans la brouette, rajouta les pots, les sachets de graines et revint vers la terrasse. Comme elle avait oublié les gants, les soucoupes et la pelle, elle repartit les chercher. Le lilas était magnifique, ses grappes violettes sentaient divinement bon. Elle faisait attention de ne pas écraser le muguet et les primevères sauvages.

Depuis huit mois qu’elle avait emménagé dans son nouveau trois-pièces, elle se régalait de découvrir le jardin chaque saison. Elle avait fait germer quelques fleurs en pot en attendant de connaître la nature et la disposition des différentes plantations déjà existantes et se préparait à les mettre en pleine terre.

Elle leva les yeux sur la grande maison meulière à trois étages. Le cabinet d’architecte de son frère l’avait rénovée et partagée en trois appartements à louer, avec, sous les toits, un grenier pour chaque logement.

Lorsque Lisa et son mari Sylvain s’étaient séparés d’un commun accord en août dernier, le rez-de-chaussée ouvert sur le jardin était libre, son frère avait été plus que ravi de trouver une locataire de confiance.

Elle posa le matériel sur la table de la terrasse et déchargea la brouette. Elle avait sorti le vieux salon en teck du cabanon la semaine d’avant. Il avait fait un temps superbe ce dimanche-là, ils avaient célébré en famille l’anniversaire d’Ella sa fille, sa fleur magnifique. Elle sourit en repensant à la partie de foot et aux cris indignés de Louis, son fils, qui s’était vu traité de gardien passoire.

Ella souhaitait une grande nouba pour ses vingt ans au mois de juin. « Ça me ferait plaisir de le fêter ici, Maman, avait-elle dit. Il est sympa ton jardin. » Lisa commença à dresser mentalement la liste de toutes les choses à préparer : le barnum était réservé, les invités prévenus, le menu prévu. Elle n’avait plus qu’à confirmer la location des chaises et des…

Le fracas fut étourdissant. Le corps de l’homme avait écrasé la table, broyé les pots, éclaté le sac. Le sang commençait à se répandre en fines rigoles le long des dalles de la terrasse. Lisa était tombée assise par terre. Couverte du terreau que l’impact avait projeté, elle hoqueta :

— Mais que, mais que…

Sa dernière pensée fut qu’elle ne mettrait pas de fleurs rouges à la fête d’Ella.

2


Verts. Ils étaient verts. Émeraude. Incroyables. Attentifs. Inquiets.

Vous vous sentez bien ?

La propriétaire des yeux incroyables lui sourit gentiment. Belle femme brune au teint mat, proche de la quarantaine. Elle glissa une mèche de ses longs cheveux derrière son oreille droite et se présenta.

— Je suis le commandant Vanessa Livers. Police judiciaire, BSU de Meaux. Vous êtes à l’hôpital. Ne vous inquiétez pas. Vous n’êtes pas blessée. Juste un magnifique hématome au niveau du postérieur a dit l’urgentiste.

— Un homme ?

— Oui.

— Comment ?

— Pas mal.

— Tant qu’à montrer mes fesses, autant que ce soit à un beau mec.

Le commandant Livers secoua la tête et rit doucement.

— Je vois que votre cerveau a l’air de fonctionner normalement. Ils veulent néanmoins vous garder en observation cette nuit. Vous êtes quand même restée inconsciente pendant deux heures.

— Je n’avais pas prévu ça pour mes vacances, vous savez.

La voix de Lisa trembla, les souvenirs remontaient, les larmes aussi.

— Vous pouvez me dire ce qui s’est passé, commandant ?

— Votre gardien nous a appelés à quinze heures trente. Un homme est tombé du grenier dans votre jardin. Vous l’avez échappé belle, dit l’officier en lui tendant un paquet de mouchoirs.

— Mais pourquoi ?

— Nous n’en savons rien encore. Vous connaissiez cet homme ?

— Jamais vu.

— Vous êtes sûre ?

— Oui. Oh, c’était affreux, affreux.

Lisa s’effondra. Le commandant Livers posa doucement la main sur son bras, lui laissa quelques instants puis reprit :

— Avez-vous entendu quelque chose avant la chute ?

— Non, je… je ne crois pas. Je suis désolée commandant, réussit-elle à articuler.

— Ce n’est rien. Vous avez raison de pleurer. Il faut que vous pleuriez. Aussi longtemps que nécessaire. Il faut évacuer. Je reviendrai vous voir demain après-midi, à votre domicile.

— D’accord.

— Vos enfants attendent dans le couloir. Votre mari va bientôt les rejoindre. Je les fais entrer ?

— Dans un petit moment s’il vous plaît, le temps que je me ressaisisse.

En la regardant partir, Lisa pensa à un chat noir.

3

— Tu es là Myriam ? demanda Vanessa Livers en passant la tête.

— Mm mm.

— Tu peux me faire une recherche ?

— Vas-y.

— Lisa Baldi. 13 rue Gambetta. Meaux. Réunion dans dix minutes.

— OK, je t’apporte ça tout de suite.

Le commandant Livers se dirigea vers son bureau, ébouriffa au passage les cheveux de Jean-Philippe.

— Où est Ben ?

— Toilettes je suppose, répondit-il.

— Réunion dès qu’elle revient. J’ai prévenu les deux « M ».

Elle retira son blouson de cuir noir, dégagea son arme du holster et la rangea dans le tiroir du haut, s’assit en croisant ses longues jambes sur le bureau.

— Nouvelles santiags ? demanda-t-il de sa belle voix grave.

— De la boutique dans la rue du Grand Cerf.

— Il y a une boutique de santiags dans la rue du Grand Cerf ?

— Jean-Philippe… soupira Vanessa.

Ami depuis le lycée, chacun avait été le témoin de l’autre à son mariage, puis l’épaule compatissante pendant son divorce. Ils travaillaient ensemble depuis dix ans, le capitaine Jean-Philippe Cormier avait intégré le groupe qu’elle dirigeait.

Passionné d’histoire, il connaissait la ville de Meaux sur le bout des doigts, pouvait parler de la Cathédrale Saint-Étienne, des remparts de la ville, du Musée Bossuet et de ses jardins pendant des heures. La construction du Musée de la Grande Guerre l’avait transporté. De sa fabuleuse mémoire de surdoué, il pouvait tirer tous les renseignements concernant n’importe quelle porte ancienne, statue ou sculpture, sans prendre la peine un seul instant de s’intéresser à une autre boutique que celle de son boulanger, son libraire ou son chausseur préféré. Se balader dans Meaux avec lui était passionnant, mais les diverses enseignes du centre-ville lui étaient totalement indifférentes.

Bénédicte entra dans leur bureau. Ce petit bout de femme, véritable sourire sur pattes, jolie comme un cœur, cachait bien son jeu. Elle attendrissait facilement ses interlocuteurs et bien des gens se livraient à elle sans méfiance. Mais malheur à qui essayait de la brusquer. Championne d’arts martiaux, elle pouvait être redoutable.

— Les deux « M » ? demanda Bénédicte.

— Ils arrivent, répondit Vanessa.

Mathieu et Myriam. Les deux « M ». Depuis bientôt trois ans que Bénédicte avait rejoint le groupe, Mathieu, Myriam et elle formaient un trio relativement harmonieux aux fous rires contagieux. Depuis quelque temps néanmoins, Vanessa percevait des tensions entre ses collaborateurs, elle n’avait rien remarqué de particulier, leur travail ne s’en ressentait pas, mais ils lui paraissaient moins complices qu’avant. Les deux « M » entrèrent, s’assirent côte à côte, la silhouette longue et fine de la jeune femme semblant rapetissée par les larges épaules de ce grand gaillard noir athlétique. Vanessa nota que Myriam éloignait sa chaise de celle de son collègue. « Qu’est-ce qui se passe encore ? se demanda-t-elle. » Rassemblant ses cheveux en une queue de cheval, elle prit la parole.

— Il est dix-huit heures quinze. En trois quarts d’heure, on peut avoir fini. Pour une fois, on ne quittera pas tard. La victime ?

— Pas de papiers sur lui, pas de téléphone portable, rien qui permette de l’identifier, commença Jean-Philippe.

— Je suis en train de comparer ses empreintes au fichier national, le coupa Myriam. Rien pour l’instant.

— La victime est un homme jeune entre dix-huit et vingt-cinq ans, reprit la belle voix grave. Homme blanc d’environ un mètre quatre-vingt. Autopsie demain à onze heures. Qui s’y colle ?

— Ben, tu viens avec moi, dit Vanessa. On part à dix heures quarante.

Elle réprima un sourire en voyant Bénédicte contenir un gros soupir et baisser la tête en essayant de cacher son air de chien battu sous ses longs cheveux châtains.

— L’homme serait tombé depuis une des fenêtres ouvertes du grenier alloué à l’appartement du second étage, continua Jean-Philippe. Aucune trace d’effraction. Beaucoup d’objets entassés, beaucoup d’empreintes, quatre mégots de cigarettes. On attend le rapport de la scientifique. Il s’est écrasé sur la table de la terrasse de madame Baldi, la locataire du rez-de-chaussée qui était en train de préparer ses pots de fleurs. À quelques centimètres près…

— Tu imagines ? dit Bénédicte. La pauvre femme…

— Je viens de la voir à l’hôpital, ajouta Vanessa. Elle est restée inconsciente pendant deux heures. Elle n’est pas blessée, juste un magnifique hématome au postérieur. Elle se souvient très bien de tout ce qui s’est passé, mais n’avait jamais vu la victime auparavant. Elle est sacrément secouée.

On entendait les longs doigts maigres de Myriam qui couraient sur le clavier de son ordinateur portable en saisissant ce qui était dit. En fin de réunion, le rapport des premières constatations serait imprimé, prêt à être remis au commissaire Ranve. Vanessa regarda son élégant lieutenant qui fixait attentivement son écran et la remercia intérieurement de son efficacité. Pourtant, au bout de trois ans, je devrais être habituée, pensa Vanessa.

— Des témoins ? demanda-t-elle.

Aucune réponse ne lui parvint.

— Mathieu ?!

Mathieu sursauta, frotta ses courtes boucles brunes et prit la parole.

— Les locataires des appartements du premier et du deuxième sont absents depuis samedi dernier, partis au ski d’après le concierge qui habite dans la maison du gardien. Les voisins d’en face n’ont pas vu cet homme, ou qui que ce soit d’autre, pénétrer dans la résidence de la rue Gambetta ce jour-là. Les propriétaires des terrains attenants à l’arrière et sur le côté de la résidence sont au ski également. Vacances scolaires et familles aisées. Le couple de retraités qui a la vue la plus intéressante sur le jardin rentre demain.

— Nous y passerons en sortant de chez madame Baldi, dit Vanessa.

Bénédicte saisit son carnet en faisant cliqueter ses éternels innombrables bracelets.

— Le concierge qui taillait les rosiers devant la résidence a entendu un grand vacarme vers quinze heures trente provenant du jardin de madame Baldi. Il s’est précipité, a découvert la scène et nous a tout de suite téléphoné. Il n’a pas entendu de bruit ou de cri avant l’impact de la chute. Il n’avait jamais vu l’homme auparavant ni remarqué quoi que ce soit d’inhabituel.

— Nous reprendrons cela avec lui demain après l’autopsie. Des renseignements sur lui et madame Baldi ? demanda Vanessa.

— Georges Pottier, soixante-quinze ans, répondit Myriam, domicilié dans la maison du gardien de la résidence depuis dix ans. Officier retraité de la marine marchande. Veuf depuis trois ans. Sans enfants. Casier vierge. Lisa Baldi, quarante-neuf ans. Domiciliée à la résidence depuis août 2012. Professeure des écoles. Séparée. Deux enfants, Ella vingt ans et Louis dix-huit ans. Casier vierge. Le mari et père des deux enfants est Sylvain Baldi, cinquante-deux ans, domicilié 6 rue des Prés, Meaux. Antiquaire. Casier vierge. Il était à son magasin avec ses deux enfants au moment du meurtre.

— Lisa Baldi n’a pas reconnu l’homme ni entendu de cri avant la chute. Je reprendrai ça avec elle demain après-midi. Autre chose ? demanda Vanessa.

Comme personne n’avait rien à rajouter, elle donna les consignes pour le lendemain et mit un terme à la réunion.

Jean-Philippe déplia son mètre quatre-vingt-dix et s’étira.

— J’ai faim.

Jeudi 2 mai 2013

4


La voix de Philippe Jaroussky était d’une telle pureté. Accompagnée des cordes de l’Ensemble Matheus de Jean-Christophe Spinosi[1], elle enchantait jusqu’à la plus petite particule d’air de la pièce. Lisa flottait avec l’aria de Vivaldi, étendue sur son canapé, secouée parfois par les profonds soupirs qui surviennent après que les sanglots aient enfin cessé.

La musique était tellement importante pour elle. L’écouter était une activité à part entière, l’accaparait totalement, ne supportait pas un son médiocre. Musicienne depuis son plus jeune âge, Lisa entendait chaque note, à la fois séparément et dans son harmonie avec les autres. Elle distinguait la phrase de basse qui posait, les accords qui accompagnaient, l’intensité qui soulignait, la voix de contre-ténor qui s’envolait. Les croches répétées, jouées staccato, mettaient si bien en valeur le chant lié, la mélodie lente, entêtante, d’une telle limpidité.

« Si les anges existaient, chanteraient-ils comme cela ? Oui, je crois. »

Mais le don que la vie avait fait à cet homme en lui offrant cette voix n’était pas suffisant.

Que d’heures de travail, de cours de chant, de répétitions pour en arriver à ce niveau et non seulement le maintenir, mais continuer de le faire évoluer ! C’était le chemin de toute une carrière de labeur et de rencontres.

Elle écoutait Vedro con mio diletto, tiré de l’opéra Giustino. Ce deuxième air de l’album Heroes était son morceau préféré. Elle se souviendrait toujours du choc qu’elle avait éprouvé la première fois qu’elle l’avait entendu. C’était en 2007, à la télévision pendant les victoires de la musique classique. Ces deux tout jeunes hommes étaient sur scène, avaient salué. Applaudissements. Silence.

Premières notes des cordes. Le plaisir manifeste de Spinosi à diriger cet ensemble. Puis la voix. Le cristal de Jaroussky. La complicité des deux musiciens. L’évidence de la musique. La magie qui s’installe et Lisa totalement médusée, envoûtée, bouleversée. Une petite part d’éternité.

Voilà exactement ce qu’était le classique pour elle, l’émotion, la passion, rien à voir avec l’académisme et la raideur des lyriques au balai dans les fesses.

C’est ce morceau qui me réconcilie avec la vie, disait-elle toujours. Et elle en avait bien besoin, Lisa, d’être réconciliée avec la vie. Le retour de l’hôpital à la maison avait été difficile. D’abord le trajet en voiture avec Sylvain, car l’énorme hématome de son postérieur rendait la position assise plus qu’inconfortable. Puis l’arrivée à l’appartement.

Face à l’air inquiet de ses deux enfants, elle avait tenté un trait d’humour.

— Ça va Maman ?

— J’ai super mal au cul !

Puis devant toutes les petites attentions de sa famille, le bouquet de fleurs d’Ella et Louis, la terrasse toute propre, grattée et récurée le matin même par son mari qui ne voulait pas qu’elle y trouve une seule goutte de sang en rentrant, elle s’était écroulée, dans les bras de Sylvain qui l’avait tenue serrée fort contre lui. Les enfants étaient sortis dans le jardin, il l’avait portée jusqu’au canapé, l’avait bercée pour qu’elle se calme. L’odeur de cet homme, son corps contre elle, le souvenir des vingt-deux ans passés
ensemble, de leur complicité, de leur désir, tout était remonté, trop fort. Le souvenir de la trahison aussi. La nécessité de s’éloigner de lui, de résister, de ne pas s’ouvrir pour ne plus souffrir.

Elle s’était doucement détachée, s’était allongée. Il avait mis son disque favori, l’avait couverte, embrassée sur le front.

 — Repose-toi. On revient tout à l’heure.

— Je préférerais t’appeler avant, d’accord ?

Le visage de Sylvain se ferma. Il ne répondit pas, acquiesça de la tête, sortit chercher les enfants.

— Sylvain ? Merci beaucoup.

***

Lisa se réveilla en sursaut, le cœur battant à tout rompre. L’homme venait de tomber, le sang se répandait… Elle se redressa vivement, porta aussitôt son regard vers la terrasse, vérifia plusieurs fois qu’elle était bien vide.

Elle inspira lentement, tenta de discipliner les pulsations qui résonnaient jusque dans sa gorge, souffla longuement, se rallongea, étendit ses jambes, grimaça lorsque le bleu de ses fesses se trouva en contact avec le coussin du canapé, remonta ses genoux et reposa ses pieds à plat. Elle continuait de respirer profondément, son rythme cardiaque s’apaisait peu à peu, ses muscles se détendaient, elle sentait l’immense fatigue qui l’assommait depuis la veille reprendre possession de son corps, ses yeux se fermaient, elle sombrait.

L’homme s’écrasa sur la terrasse. Lisa poussa un cri et se leva tout d’un coup, se raccrocha comme elle put à l’accoudoir du sofa et réussit à ne pas succomber à l’étourdissement qui s’était emparé d’elle. Au bout d’un long moment, elle parvint à rester debout sans se tenir. Elle se dirigea vers la cuisine et se servit un verre d’eau.

Toute tremblante, elle avala de travers et s’étrangla. Secouée par la quinte de toux, elle peinait à retrouver sa respiration et sentait la panique monter.

« Bon, arrête, t’es pas morte là ! Ce n’est pas comme l’autre qui a choisi ma terrasse pour s’écraser. Mais tu es complètement folle, ma pauvre fille, cet homme n’a certainement pas choisi d’être tué et encore moins sur ta terrasse. Oui, je sais bien, mais je n’avais vraiment pas besoin de ça. Parce que tu crois qu’il existe quelqu’un qui en a besoin ? Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… Alors là ça y est, je débloque totalement ! Le “non-vide” de mes pensées a eu raison de moi. Argh… »

Elle connaissait cet état d’excitation mentale. C’était son signal d’alarme. Ces idées désordonnées qui partaient dans tous les sens, passant de la tristesse et de la peine à un cynisme sauvage, jouaient la diversion. Ne pas penser au mort sur la terrasse, ne pas penser au sang, ne pas penser à la violence, ne pas penser...

Elle s’activa, ouvrit le réfrigérateur, le referma, se dirigea vers l’évier et rinça son verre, l’essuya, le rangea, se retrouva au milieu de la cuisine avec un torchon dans les mains et des larmes qui menaçaient de déborder.

Lisa ne savait plus que faire, regardait autour d’elle, le piano ne la tentait pas, la guitare non plus, les livres encore moins, quand soudain elle se souvint : le cahier. Elle courut le chercher et revint en s’y raccrochant comme à une bouée de sauvetage. Elle essaya de s’asseoir précautionneusement dans son endroit préféré, face à la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin, renonça, retourna s’allonger sur le canapé et relut ce qu’elle avait écrit le jour du drame. Les quatre premiers chapitres de son manuscrit présentaient les personnages et mettaient l’intrigue en place. Un contrebassiste rencontrait la guitariste de ses rêves lors d’un concert et déployait toute son énergie pour la retrouver dans la ville de Bordeaux bouleversée par la guerre. Inspirée de la vie de ses grands-parents, cette histoire l’enthousiasmait. Elle était assez satisfaite de son travail et espérait être parvenue à donner un rythme intéressant à son texte.

Puis elle prit le carnet sur lequel elle avait inscrit les bulles de pensées que son récit faisait émerger. Sa lecture la laissa perplexe. Ses réflexions étaient axées autour de son vécu avec Sylvain, de sa déception, de sa colère. Après avoir été confrontée à la mort d’un homme, la tromperie de son mari lui sembla dérisoire.

« Non, pas dérisoire, se reprit-elle. Il existe toujours une situation plus dramatique que celle que je suis en train de vivre. Cela ne rend toutefois pas mon ressenti moins important. Cependant, il faut que je relativise. C’est important, mais ce n’est pas grave. »

Elle récapitula tout ce qui lui était arrivé depuis deux jours et fut envahie par une foule d’émotions qui menacèrent de la submerger. Alors elle saisit le crayon, cala le cahier sur ses genoux et se jeta dans l’écriture.

5


Bénédicte faisait une drôle de tête dans la voiture.

— Je vois que tu te réjouis toujours autant d’assister à une autopsie, lui dit Vanessa qui conduisait.

— Pas vraiment.

— C’est pour t’endurcir que je t’y emmène.

— J’avais bien compris.

— Je sais que c’est difficile, mais tu n’as pas fini d’en voir.

— J’ai fait beaucoup de progrès déjà. Je ne tourne plus de l’œil, je ne vomis plus. Je n’arrive juste pas à avaler quoi que ce soit de toute la journée.

— Pauvre docteur Tapenser qui n’aura plus à te consoler.

— Oh, ça va, hein ?

— Ma petite Bénédicte, tu es une des rares personnes avec qui j’ai vu le légiste être si gentil.

— Moi aussi je l’aime bien cet ours. Il a un drôle de caractère, mais il fait preuve d’un tel respect envers ceux qu’il découpe.

Arrivées à l’hôpital, elles présentèrent leurs cartes à l’entrée de l’Institut de Médecine Légale, se dirigèrent vers les vestiaires où elles enlevèrent leurs manteaux et enfilèrent une blouse. Dans la salle, le policier de l’Identité Judiciaire préparait son appareil photo.

— Bonjour Bernard, dit-il au médecin qui entrait dans la pièce.

— Bonjour Gilles. Commandant Livers. Lieutenant Landuri. Serge, tu notes, dit-il à son assistant en lui tendant le formulaire.

Le corps fut radiographié puis sorti de la housse mortuaire, les prélèvements effectués, les vêtements retirés et mis sous scellés, le mort fut pesé. L’inspection commença, les parties extérieures, les orifices naturels, le tatouage de l’épaule, la grosseur sous la peau du pénis, la tache de naissance sur l’avant-bras gauche, tout fut observé et photographié minutieusement.

Puis le médecin saisit un scalpel, pratiqua une incision au sommet du crâne. Il rabattit le scalp dans un terrible bruit de scratch sur le visage du défunt, entreprit d’ouvrir la boîte crânienne à la scie électrique. Vanessa surveillait Bénédicte qui fermait les yeux. Le docteur observait, dictait. Il sortit le cerveau, le pesa puis y découpa de fines tranches en vue d’analyses. Bénédicte déglutissait beaucoup. Lorsque le légiste commença à casser le rocher à l’aide d’un marteau et d’un burin pour voir si la mort était due à un coup sur le crâne, Vanessa pinça fort le bras de Bénédicte qui se ressaisit, mais pâlit encore plus quand, après avoir pratiqué une longue incision verticale, le médecin coupa les côtes une à une avec une grosse pince et dégagea la langue par le cou. Bénédicte résista mieux à la sortie de tous les organes, à leurs pesées, aux biopsies des tissus et prélèvements des liquides placés sous scellés. Elle recommença à respirer à peu près normalement quand les organes furent replacés dans le corps et l’incision suturée.

— De nets progrès, lieutenant Landuri. Dans quelques minutes, vous aurez retrouvé toutes vos couleurs.

— Merci docteur, répondit Bénédicte avec un pauvre sourire.

— Comme vous l’avez vu, c’est la chute qui a provoqué le décès. Les blessures défensives sur les mains et la trace de coup sur le visage montrent qu’il s’est battu avant sa mort. La grosse contusion en haut du thorax à droite du sternum peut laisser penser qu’il a été violemment poussé. La plaie à la tempe a été causée par un choc avec un objet anguleux avant la mort. Il était peut-être inconscient avant de tomber. Et le coup qu’il a pris sur le menton a aussi pu l’assommer. J’estime l’âge de la victime à environ dix-huit ans. C’est la première fois que je trouve une bille de cette sorte dans un pénis !

— Effectivement, dit Vanessa, j’ai déjà vu beaucoup de bizarreries, mais une bille dans un phallus, c’est une nouveauté !

— Je vous envoie les photos de la tache de naissance et du tatouage par mail, reprit le médecin. Rapport écrit dans la soirée. Les prélèvements partent tout de suite au labo. Commandant Livers, Lieutenant Landuri, salua le légiste en sortant.

— Au revoir docteur, répondit Vanessa.

— Je crois que je boirais bien un café, dit Bénédicte.

— Bien. J’ai rendez-vous à La Brûlerie avec Jean-Philippe. Tu te joins à nous ?

— Pourquoi pas ? Ouf, ça ne s’est pas trop mal passé finalement… Ben quoi ?!

Elle râlait en suivant Vanessa qui riait.

6

Le carnet de Lisa

Jeudi 2 mai 2013

Comment oublier ? Ou plutôt comment surmonter ? Je ne cesse de revoir ce regard mort, ce sang qui coule. Et chacune de ces visions me met en danger. J’ai peur de ne plus jamais pouvoir reprendre le cours de ma vie. Je suis comme suspendue à cet instant de violence inouïe, à ce moment qui bascule dans l’indicible.

Tout est bouleversé. Les certitudes que j’avais volent en éclats. Les probabilités pour que je sois de nouveau confrontée à un tel drame sont faibles, mais tant d’autres catastrophes peuvent survenir et frapper ceux que j’aime. Comment faire maintenant pour ne pas être étranglée d’angoisse quand je les quitte et ne pas me dire que je les vois peut-être pour la dernière fois ? Comment faire pour continuer d’accompagner mes enfants sur leur chemin, leur témoigner toute ma confiance en leur capacité à réaliser leurs possibles alors que je suis épouvantée à l’idée de ce qui pourrait leur arriver ?

Chacun de nous sait que rien n’est acquis, que tout peut se produire, à n’importe quel moment. Cette idée est dans notre tête, cachée quelque part pour ne pas nous interdire de vivre. Car la regarder en face est insupportable.

La mort de cet homme a fait ressurgir mes pires terreurs. Je n’arrive pas à les contrôler, à les remettre à leur juste place, dans ce coin de mon esprit où elles ont le droit de se trouver sans m’empêcher d’être. Il ne faut plus qu’elles prennent cette dimension disproportionnée qui bâillonne ma vie. Je veux cesser d’avoir à me battre contre elles pour parvenir à exister.

Je ne veux pas être une victime.

7

Lisa se leva pour répondre au téléphone.

— Je te réveille ?

— Non Pierre, j’écrivais. Je suis contente de t’entendre.

— C’est l’heure de déjeuner. Je viendrais bien manger mes sushis chez toi.

— Ceux de la rue du Tan ?

— Ceux de la rue du Tan, petite sœur. Sushis saumon, makis saumon-avocat, soupe de miso, salade.

— Oh oui ! Je t’attends.

— Je suis là dans dix minutes. Prépare le thé vert.

Lorsqu’elle ouvrit la porte, les yeux kaki pailletés d’or de son frère la scrutaient d’un air inquiet à travers le feuillage d’un bel arbuste en pot.

— Ça va ? demanda-t-il.

— Un oranger du Mexique ! Il est magnifique !

— Pousse-toi, il est super lourd.

Pierre entra et traversa le salon. Il ouvrit la porte-fenêtre et mit un pied sur la terrasse.

— Attention ! cria Lisa.

Il posa le pot et retourna vers elle, la prit dans ses bras.

— Choisya ternata ou oranger du Mexique. C’est un de tes arbustes préférés. Il n’y en a pas encore dans ton jardin. Tu te souviens comme on aime les jardins. C’est ton cul qui est tuméfié, pas ta tête.

— Oui.

— Il est en pot, il aime la pleine terre, on ne va pas le laisser en pot quand même ?

— Non.

— Il faudra beaucoup l’arroser le temps qu’il reprenne, mais tu habites ici alors cela ne devrait pas poser de problèmes.

— Non.

— On peut même le planter dès cet après-midi. On va le planter cet après-midi.

— Oui.

— Avant on mange les sushis.

— D’accord.

— Qui sont dans la voiture.

— D’accord.

— Et que je vais chercher.

— D’accord.

— Mais d’abord, il faut que je te lâche.

— Tout de suite ?

— Ben, je vais avoir du mal à ouvrir la portière et à prendre le sac avec toi dans les bras.

— D’accord, dit-elle en se serrant encore plus fort contre son frère.

— À trois. Un, deux…

— Trois. Vas-y.

8

Jean-Philippe et Vanessa passèrent le portail de la résidence.

— Magnifique meulière, construite entre 1920 et 1930. On sent l’influence des années folles dans les céramiques qu’on voit là-haut sur le mur, entourées de briquettes rou-ges placées en décors géométriques. Regarde ces superbes balustrades de fenêtres en fer forgé aux motifs floraux. Intéressante, cette idée de peindre toutes les huisseries en noir. Ça donne un contraste original, pas mal du tout même. Tu noteras les découpes de la marquise au-dessus de la porte principale. Magnifique, réellement magnifique.

Résignée, les bras croisés, Vanessa attendait, habituée à la passion de Jean-Philippe pour l’histoire et à son énergie à vouloir la partager. Ce n’était pas toujours le moment, c’était parfois agaçant, mais elle avait appris à le laisser parler, car il lui faisait immanquablement découvrir quelque chose.

— J’adore ces maisons en meulières, continuait-il. Tu as vu tous ces trous dans la pierre ? Cela confère au matériau une capacité isolante très performante et très prisée par les architectes de l’époque. Le rez-de-chaussée est légèrement surélevé avec un sous-sol enterré aux trois quarts, ce qui renforce l’isolation.

— Voilà, dit Vanessa en profitant d’une pause de Jean-Philippe. Maintenant, nous allons gravir ces quelques superbes marches, entrer dans la résidence et sonner chez madame Baldi.

La porte s’ouvrit sur un homme blond de taille moyen-ne, aux yeux vert kaki souriants.

— Commandante Livers, Capitaine Cormier, police judiciaire, BSU de Meaux. Monsieur Sylvain Baldi ?

— Non, je suis Pierre Defresnoy, le frère de Lisa. Entrez, je vous en prie. Nous étions dans le jardin, en pleine plantation. Je vais chercher Lisa.

Pierre sortit par la porte-fenêtre. En revenant, il prit la main de sa sœur pour traverser la terrasse.

— Bonjour, madame, euh Commandante… ? hésita Lisa.

— Commandante Livers, dit Vanessa en souriant. Bonjour, madame Baldi. Je vous présente le capitaine Cormier.

— Bonjour Capitaine. Asseyez-vous, je vous en prie.

On entendait Pierre s’agiter dans la cuisine. Les policiers s’installèrent dans un confortable canapé de cuir vert anglais. Vanessa observa le décor autour d’elle. Les murs blancs et les huisseries noires mettaient en valeur le parquet ancien en chêne, le piano et la très belle bibliothèque. Madame Baldi aimait le vert qu’elle avait réchauffé avec des touches de jaune d’or, orange et rouge cerise. Sur la cheminée et aux murs, des photos des enfants et des tableaux aux couleurs vives. La pièce était claire, gaie et chaleureuse, agrémentée de plantes bien entretenues. Vanessa pensa à son propre appartement, neuf, moderne, noir et blanc, neutre, froid, aux murs vides. Quelles photos avait-elle à y mettre, elle ?

Elle secoua la tête et sourit à Lisa qui s’asseyait prudemment sur un fauteuil Voltaire grenat garni d’un coussin moelleux.

— Toujours douloureux ? lui demanda-t-elle.

— Oh oui ! Mais un petit peu moins qu’hier, merci Commandante.

Ses yeux se perdirent dans le vague et son visage montrait une profonde tristesse.

Combien de fois Vanessa avait-elle croisé ce regard vide, cet air désemparé chez les témoins de mort violente qu’elle avait rencontrés ? Le traumatisme changeait tout, bouleversait toute une vie. Après l’instant de l’impact, plus rien n’était comme avant. On pouvait peut-être parvenir à se reconstituer autour de la douleur, mais on n’était plus jamais pareil.

Pierre Defresnoy revint avec…

 
 
 
 

Format 12,7 x 1,5 x 20,3 cm 244 pages
Broché : 12,99 €
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